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Des milliers d'héroïnes

Remédier à la pénurie d'héroïnes dans les contes traditionnels

Les féetauds - Perrault revisité

Il était une fois un veuf qui avait deux fils : l’aîné lui ressemblait si fort d’humeur et de visage, que qui le voyait voyait le père. Ils étaient tous les deux si désagréables et si orgueilleux, qu’on ne pouvait vivre avec eux. Le cadet, qui était le vrai portrait de sa mère, pour la douceur et l’honnêteté, était avec cela un des plus beaux garçons qu’on eût su voir. Comme on aime naturellement son semblable, ce père était fou de son fils aîné, et en même temps, avait une aversion effroyable pour le cadet. Il le faisait manger à la cuisine et travailler sans cesse.

Il fallait, entre autres choses, que ce pauvre enfant allât, deux fois le jour, puiser de l’eau à une grande demi-lieue du logis, et qu’il en rapportât plein une grande cruche. Un jour qu’il était à cette fontaine, il vint à lui un pauvre homme, qui le pria de lui donner à boire. « Oui-da, mon bon père, » dit ce beau garçon ; et rinçant aussitôt sa cruche, il puisa de l’eau au plus bel endroit de la fontaine, et la lui présenta, soutenant toujours la cruche, afin qu’il bût plus aisément. Le bonhomme ayant bu, lui dit : « Vous êtes si beau, si bon et si honnête, que je ne puis m’empêcher de vous faire un don (car c’était un féetaud, qui avait pris la forme d’un pauvre homme de village, pour voir jusqu’où irait l’honnêteté de ce jeune homme). Je vous donne pour don, poursuivit le féetaud, qu’à chaque parole que vous direz il vous sortira de la bouche ou une fleur, ou une pierre précieuse. »

Lorsque ce beau garçon arriva au logis, son père le gronda de revenir si tard de la fontaine. « Je vous demande pardon, mon père, dit ce pauvre garçon, d’avoir tardé si longtemps ; » et, en disant ces mots, il lui sortit de la bouche deux roses, deux perles et deux gros diamants. « Que vois-je là ? dit son père tout étonné ; je crois qu’il lui sort de la bouche des perles et des diamants. D’où vient cela, mon garçon ? » (Ce fut là la première fois qu’il l’appela mon garçon.) Le pauvre enfant lui raconta naïvement tout ce qui lui était arrivé, non sans jeter une infinité de diamants. « Vraiment, dit le père, il faut que j’y envoie mon fils. Tenez, François, voyez ce qui sort de la bouche de votre frère, quand il parle : ne seriez-vous pas bien aise d’avoir le même don ? Vous n’avez qu’à aller puiser de l’eau à la fontaine, et quand un pauvre homme vous demandera à boire, lui en donner bien honnêtement. — Il me ferait beau voir, répondit le brutal, aller à la fontaine ! — Je veux que vous y alliez, reprit le père, et tout à l’heure. »

Il y alla, mais toujours en grondant. Il prit le plus beau flacon d’argent qui fût dans le logis. Il ne fut pas plutôt arrivé à la fontaine, qu’il vit sortir du bois un homme magnifiquement vêtu, qui vint lui demander à boire. C’était le même féetaud qui avait apparu à son frère, mais qui avait pris l’air et les habits d’un prince, pour voir jusqu’où irait la malhonnêteté de ce garçon. « Est-ce que je suis venu, lui dit ce brutal orgueilleux, pour vous donner à boire ? Justement j’ai apporté un flacon d’argent tout exprès pour donner à boire à Monsieur, j’en suis d’avis : buvez à même, si vous voulez. — Vous n’êtes guère honnête, reprit le féetaud sans se mettre en colère. Eh bien ! puisque vous êtes si peu obligeant, je vous donne pour don, qu’à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou un serpent ou un crapaud. »

D’abord que son père l’aperçut, il lui cria : « Eh bien ! mon fils ? — Eh bien ! mon père, » lui répondit le brutal, en jetant deux vipères et deux crapauds. « Oh ciel ! s’écria le père, que vois-je là ? C’est son frère qui est cause : il me le payera ; » et aussitôt il courut pour le battre. Le pauvre enfant s’enfuit, et alla se sauver dans la forêt prochaine. La fille de la reine, qui revenait de la chasse, le rencontra, et, le voyant si beau, lui demanda ce qu’il faisait là tout seul, et ce qu’il avait à pleurer. « Hélas ! madame, c’est mon père qui m’a chassé du logis. La fille de la reine, qui vit sortir de sa bouche cinq ou six perles et autant de diamants, le pria de lui dire d’où cela lui venait. Il lui raconta toute son aventure. La fille de la reine en devint amoureuse ; et, considérant qu’un tel don valait mieux que tout ce qu’on pouvait donner en mariage à un autre, l’emmena au palais de la reine sa mère, où elle l’épousa.

Pour son frère, il se fit tant haïr, que son propre père le chassa de chez lui ; et le malheureux, après avoir bien couru sans trouver personne qui voulût le recevoir, alla mourir au coin d’un bois.

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